Entrevue avec IHSAHN (Emperor) à propos de la sortie des EP « Pharos » et « Telemark » et sur de nombreux autres sujets par notre journaliste Dani Rod.
MU : Peux-tu nous parler un peu de ton nouvel album “Pharos” qui sort ce 11 septembre? Pourquoi as-tu choisi ce titre?
IHSAHN : Pharos, c’est le nom du plus gros phare qui se trouvait à Alexandrie. Il était considéré comme une des huit merveilles du monde. À la base, ce qui m’a attiré, c’est que ça représente l’importance d’avoir toujours une balise qui nous appelle vers notre destin. C’est un symbole de bienvenue. C’est profond comme concept. Aussi, le phare a joué une importance stratégique militaire dans les temps de guerre, car il pouvait amener les navires à terre en toute sécurité, mais en même temps, il pouvait s’éteindre et ainsi faire couler les navires ennemis. C’est un symbole puissant de ce qu’on permet de laisser entrer dans nos vies. J’étais touché par ce concept. C’est aussi un symbole du fait qu’avec cet album, j’ai exploré un monde vraiment inconnu pour moi, loin de ce que j’ai déjà fait. Je voulais que cet album soit le contraire de mon dernier EP “Telemark”, qui était étroitement lié à mes racines culturelles et géographiques. Cet album avait surtout pour but de regarder loin de moi-même.
MU : En lien avec les covers qu’on trouvera dans ton nouvel album, c’est connu que tu es un vieux fan du groupe norvégien A-ha. Tu as même dit qu’il y avait un peu de leurs influences dans ton album “Anthems to the Welkin at Dusk”. Pourquoi as-tu choisi la chanson “Manhattan Skyline” et pas une autre? Qu’est-ce qui la rend plus spéciale?
IHSAHN : J’aurais pu choisir d’autres comme “Hunting High and Low”. En fait, il y en a beaucoup dans ma liste de préférées, mais cette chanson a une structure assez complexe en comparaison avec les chansons pop de base. Puis j’ai trouvé qu’elle s’agençait bien avec le deuxième cover de l’album, la chanson “Roads” par Portishead. Chacune amène des textures musicales différentes. En plus, j’ai choisi les covers avant de commencer à travailler sur mes propres compositions. Tu sais, “Roads” commence avec un loop vraiment dense dans une gamme mineure, avec une fragilité spéciale, mais quand même au bord de la distorsion. Alors il y a ce contraste que j’aime beaucoup entre une performance musicale très fragile sur une texture musicale vraiment intense. Puis après on embarque sur l’intro de “Manhattan Skyline” un peu mélancolique et atypique sur une métrique en 3/4 puis après ça devient vraiment rock’n’roll dans une métrique 4/4, pour terminer dans un refrain au style “larger than life” des années 80’s qui explose la chanson. On peut dire que les deux chansons nous apportent quatre textures différentes dans ce genre de musique.
MU : Parle-nous un peu de ton EP “Telemark”. Penses-tu que le Ihsahn de 18 ans serait content avec le résultat? Ou tu imagines qu’il dirait : “Pas pire, mais un peu plus de blastbeats, s’il te plait” ?
IHSAHN : Je pense que oui, il serait content! Telemark a été conçu précisément à partir de ce sentiment de jeunesse. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi “Wrathchild” de Iron Maiden comme premier cover pour l’album. Tu sais, je suis un vrai fan de Iron Maiden. Mon album préféré, c’est “Seventh Son of a Seventh Son” avec ses claviers intenses et très épiques. Cet album est tellement important pour moi, alors c’est un peu bizarre d’avoir choisi une chanson de l’album “Killers” à la place. Mais je voulais rendre hommage aux racines du rock’n’roll et au moment où j’ai commencé mon parcours musical. Puis ça a été le son de base de 4 musiciens ensemble dans leur garage! J’ai trouvé que la chanson de Lenny Kravitz “Rock’n’roll is dead”, le deuxième cover de l’album, avait le même vibe, avec sa production brute, et une attitude et un son de base très brut aussi. Je pense que les deux vont bien ensemble. Ces chansons respirent une énergie de jeunesse, puis ça a été le paysage musical où je voulais embarquer. C’était les instruments de base du rock’n’roll dans leur état original.
MU : Tu as mentionné souvent ta passion pour Iron Maiden et comment leur spectacle pour la tournée de Seventh Son of a Seventh Son a changé ta vie. Alors comment ta passion pour le heavy metal est devenue une passion pour les styles de metal plus extrêmes et obscurs?
IHSAHN : Je pense que j’ai suivi le chemin typique de la plupart des metalleux. On monte l’échelle d’intensité graduellement. Je ne connaissais pas le rock’n’roll au début. Quand j’avais 6 ans, je jouais du piano classique simplement. Mais je me rappelle qu’un jour, mes jeunes voisins sont revenus de l’école en chantant “We’re Not Gonna Take It” de Twisted Sister, et là, j’ai vraiment trippé! Alors mon premier band préféré de rock, c’était Twisted Sister, avec la chanson “I Wanna Rock” aussi. J’ai ensuite acheté l’album de Kiss “Rock and Roll Over” parce que j’ai trippé sur la pochette. J’ai trouvé l’art et le dessin super cool! Après, mon père m’a amené au spectacle de Iron Maiden pendant leur tournée de l’album Seventh Son of a Seventh Son, le 5 octobre 1988, je crois, et cette expérience a changé ma vie. C’est après ce spectacle que j’ai vraiment embarqué sur la musique et à partir de là que j’ai décidé d’apprendre à bien jouer de la guitare puis même à enregistrer un peu de musique. Ce moment quand Bruce Dickinson a sauté sur scène au début de “Moonchild” avec les feux d’artifice, je me suis rendu compte que je n’avais pas de plan B dans ma vie, j’allais devenir un frontman puis créer mon propre band.
MU :Est-ce que ton père est un fan du métal et de Maiden aussi?
IHSAHN : Un peu, mais il était plutôt un fan de blues. Il m’a toujours donné son support inconditionnel heureusement. Il m’emmenait aux spectacles, il me conduisait aux pratiques avec mes premiers bands. Quand j’étais jeune, je portais une veste de jean avec toutes les “patch” de Iron Maiden et j’avais de longs cheveux blonds à l’époque. Mon père m’a emmené dans un séminaire pour jeunes qui voulaient faire partie de bands de musique, puis c’est là que j’ai rencontré Samoth. Il était là avec son ancien groupe, avec des gars plus vieux que nous. On avait 12-13 ans, ils avaient 16 ans, ils avaient tous des “mopeds”. Dans ma tête, ils étaient des adultes! Ils faisaient des covers, mais ils faisaient leurs propres compositions aussi. C’est avec eux que j’ai pu embarquer dans un monde musical plus sérieux et professionnel, un peu plus avancé pour mon âge. Avec Samoth, on jouait dans un vrai band de heavy metal, avec le son des années 70’s, 80’s un peu aussi. On est passés par Metallica, après un peu dans le thrash metal avec Destruction, le death metal de Entombed, jusqu’à l’album “Altars of Madness” par Morbid Angel (ça m’a frappé tellement fort, cet album!) Il y avait aussi Napalm Death et Carcass d’un autre coté. J’ai bien évolué avec l’album “Blood, Fire, Death” de Bathory avec ses claviers très puissants et épiques.
MU : Parle-nous un peu de tes expériences à Montréal. Quels sont tes souvenirs les plus marquants de notre ville?
IHSAHN : Je me rappelle que les deux dernières fois, on a fini par visiter de très bons restaurants dans le quartier chinois. Mais tu sais, avant de visiter Montréal pour la première fois, j’ai parlé à plusieurs de mes collègues dans d’autres festivals. Matt Heafy (Trivium) m’a conseillé de ne pas manquer le catering au Heavy Montréal. Il me disait que c’était grand comme un supermarché! J’avais vraiment hâte. Mais finalement, parce que ca faisait très longtemps que je n’étais pas venu à Montréal, j’ai fini par faire tellement d’entrevues ce jour-là que j’ai raté l’opportunité de déguster le catering! Quand je suis retourné avec Emperor en 2018, j’ai dit spécifiquement à mon directeur de tournée : “pas de média du tout cette fois-là, s’il te plait” puis j’ai finalement eu la chance de profiter du catering du festival.
Il y a deux autres moments vraiment spéciaux qui me viennent en tête. En 2015, quand je suis allé avec mon projet, c’était la dernière fois que j’ai eu la chance de jaser avec Warrell Dane (Sanctuary, Nevermore) avant son décès. C’était spécial, ça m’a touché profondément. Puis en 2018, avant de commencer notre spectacle, je me rappelle qu’il pleuvait tellement fort qu’ils avaient pensé à annuler notre set au complet. Il a fallu couvrir tous les équipements et je me demandais si on allait être capable de jouer plus tard ou pas du tout. Mais par miracle, la pluie s’est arrêtée tout à coup au bon moment et j’ai vu la lune qui sortait à ma gauche à travers le brouillard, puis soudainement, il y a eu un gros tonnerre exactement au moment où notre intro commençait! On a eu les conditions parfaites pour un show d’Emperor!
MU : Maintenant, on te donne l’espace pour recommander un groupe qui t’a vraiment surpris. Qui mérite le plus de succès à ton avis?
IHSAHN : C’est une question vraiment difficile, car je suis assez vieux maintenant, hahaha! C’est rare que j’écoute de nouveaux bands. Ce sont les jeunes qui trouvent de nouveaux groupes puis viennent toujours me dire “Hey, as-tu déjà entendu tel ou tel groupe”. Moi, je reviens encore avec mon old school en disant “Hey, as-tu déjà entendu Altars of Madness par Morbid Angel?” hahaha! Mais, il y a un band avec lequel j’ai tourné dernièrement en Norvège qui s’appelle “Astrosaur”. C’est un groupe incroyable! Ils font un cover très spécial de la chanson “Pyramid Song” par Radiohead. Ils sont un trio de musique instrumentale. C’est encore plus difficile de faire un impact dans ce style, mais malgré ce fait, ils ont réussi à m’impressionner.
MU : Parlons de l’industrie de la musique et des différentes manières de te suivre et d’acheter ta musique. Comment tes fans peuvent-ils mieux soutenir ce que tu fais?
IHSAHN : L’industrie de la musique a tellement changé ces dernières années. Au début, c’était important, la vente d’albums. Puis après, il y a eu les problèmes de téléchargements illégaux. Et maintenant, il y a Spotify … Je trouve que tout ça est devenu plus symbolique, parce que tu dois avoir tellement de stream pour avoir un revenu important, que oui, je vois ça plus comme un geste symbolique du succès de mes ventes. En même temps, ca m’emmène plus de fans. C’est plus accessible, alors c’est le bon côté. On a eu une période au début où tout était lié à la musique live, puis après on a eu à peu près trois ou quatre décennies où le focus était sur la vente d’albums, à partir des années 70’s. Même les tournées étaient planifiées autour de la promotion et la vente d’albums. Maintenant, je vois un retour aux débuts de Led Zeppelin et Black Sabbath. Quand tu écoutes une chanson qui dure 3 minutes sur l’album, mais que tu trouves une version qui dure 15 minutes live, c’est spécial! La vraie magie revient plus à l’interaction avec un groupe en spectacle qu’à la façon dont la chanson a été enregistrée.
Par rapport aux ventes, je ressens que j’ai été vraiment chanceux avec le succès de ma musique. Je n’ai jamais ressenti le besoin de dire à mes fans d’acheter ma musique ici ou de me suivre là. Tout ce que je peux dire c’est, s’il vous plaît, continuez à partager ma musique, venez voir mes spectacles. C’est là où j’apprécie votre support surtout. J’ai commencé avec Candlelight puis depuis le début j’ai été toujours très humble, je suis très reconnaissant, car on a signé avec eux vraiment vite en 1991, puis on a jamais pensé à vendre de la musique, c’est quelque chose qui s’est passé vite pour nous sans beaucoup d’effort. On a commencé un band de black metal qui à l’époque était le style de musique le plus détesté. La plupart des gens ne savaient même pas ce que voulait dire “black metal”. Même quand on a enregistré “Anthems”, on ne pensait pas du tout à faire de l’argent. L’intention était simplement de faire un nouvel album. Malgré ce fait, tout ce projet est devenu mon travail. C’est pourquoi je dis que j’ai été très chanceux. Souvent, je n’arrive pas à comprendre la chance que j’ai eu avec ma musique. Il y a tellement de gens que je connais qui ont la même passion que moi et les même aspirations que moi, et qui travaillent aussi fort que moi. Il y a beaucoup de coïncidences qui m’ont permis d’avoir le succès que j’ai eu à date.
Pour vous procurer le EP : https://Ihsahn.lnk.to/Pharos