Boréalys – Entrevue avec Abstrus et Julius du projet black metal atmosphérique québécois à propos du premier album « L’Héritage »

Au cours des dernières semaines, notre journaliste Marc Desgagné a réalisé une entrevue avec les membres du projet black metal atmosphérique québécois BORÉALYS à propos de la sortie de leur premier album complet nommé « L’héritage » le 1er septembre 2023. Dans cette entrevue, Abstrus (chant, guitare, synth, paroles) et Julius (batterie) nous racontent ce qui a mené à la création de ce projet et mené à la sortie du premier album après un EP lancé plus tôt en 2020. De la puissance musique black metal atmosphérique et des éléments reliés à l’histoire du Québec, une combinaison toujours intéressante. (N.D.L.R.: Le texte utilise le « Je », mais représente les deux personnes du groupe) Bonne lecture!

MU: Tout d’abord, merci de prendre le temps de répondre à ces quelques questions. Peux-tu nous raconter brièvement à quel moment ce projet a débuté et ce que signifie pour vous le nom Boréalys?

Abstrus: Boréalys est née d’une façon quelque peu inattendue. J’avais un autre projet qui a avorté en 2015 environ. J’habitais alors la ville de Québec et je ne connaissais pas beaucoup de gens. J’ai alors, par simple plaisirs, commencer à travailler des riffs pour lesquels je n’avais aucune réelle intention. Quand je suis revenu en Abitibi, là d’où viens, je commençais à avoir une certaine quantité de matériel en main et quelques contacts, alors c’est là que l’envie de faire évoluer le projet à débuter. Sans nécessairement vouloir aller de l’avant avec plusieurs musiciens pour le live ou autres, mais seulement dans l’optique de la création. J’ai donc pris contact avec Julius de Black Empire pour voir s’il serait intéressé d’y faire le drum, et comme sa réponse fut positive, nous sommes allés de l’avant. Nous avons donc mis en place l’identité, le nom et la thématique de Boréalys ensemble, en référence à l’histoire de notre région. La signification du nom Boréalys est assez simple, elle vient des forêts boréales qui nous entourent et le lys, le symbole de notre pays. 

MU: Musicalement, à quoi les amateurs de black metal peuvent-ils s’attendre et quels sont vos principales influences?

Abstrus: Pour le moment, en gros les gens peuvent s’attendre à un black metal atmosphérique avec une saveur nostalgique/mélancolique. Le EP ‘’Là où les eaux se séparent’’ reflète selon moi davantage un sentiment de liberté face à notre connexion et l’ambiance qui nous porte dans ces grandes forêts et ces nombreuses rivières. Pour ce qui est de ‘’L’héritage’’ c’est assez différent ! La thématique est beaucoup plus lourde et dramatique et je crois que musicalement, le tout va dans le même sens. Toujours dans une ambiance atmosphérique mais cette fois avec une influence peut-être un peu plus black metal traditionnelle avec une touche de doom. Au moment d’écrire les bases de ‘’L’héritage’’, je découvrais Drudkh et son album ‘’Blood in Her Wells’’, un album pour lequel nous avons gardé un profond respect au fil du temps et qui nous a sans doute influencé dans nos compositions. Sinon nous écoutons beaucoup de black metal de la première moitié des années ’90, du Black Sabbath, Fen, Forteresse, etc.

MU: Suite à la sortie du EP « Là où les eaux se séparent » en 2020, est-ce que vous aviez déjà du matériel en préparation pour le premier album « L’héritage »? Ou avez-vous commencé de zéro?

Abstrus: Nous étions déjà avancés. À la sortie du EP ‘’Là où les eaux se séparent’’, nous avions déjà complété ou presque, les guitares et le synthétiseur sauf pour ‘’Apitipik; Vers l’orphelinat’’ et ‘’L’esprit d’autrefois’’. Alors suite à la sortie du EP, nous avions déjà de bonnes bases pour le matériel sur lequel nous voulions travailler. Nous connaissions déjà le sujet que nous voulions aborder et même le drum était déjà complété sur un ou deux titres je crois. On peut dire que les bases de ‘’L’héritage’’ ont été écrites il y a déjà quelques années.

MU: Comment procédez-vous lorsque vous composez du matériel? 

Abstrus: Nous pensons à un sujet sur lequel nous pouvons bâtir une ambiance, ensuite je commence à travailler sur les guitares et le synthétiseur. Quand j’ai quelque chose qui me satisfait, je contacte Julius pour voir avec lui ce que nous avons entre les mains et retravaillé le tout avec le drum. Après ça, si le tout nous satisfait, je fais la bass et commence les lyrics, suivi des partitions de vocale et des ambiances.

MU: Est-ce que vous avez déjà des sujets précis sur lesquels vous désirez composer ?

Abstrus: Nous avons déjà plusieurs sujets sur lesquels nous voulons élaborer, toujours dans la même thématique de l’histoire de l’Abitibi. Mais pour le futur, ce sera autre chose que sur ‘’L’héritage’’, qui portait davantage sur les des sévices de l’église. Nous ne sommes pas un projet à caractère religieux ou anti-religieux, alors nous avons d’autres sujets sur lequel nous voulons nous concentrer.  

MU: Pouvez-vous nous décrire les sujets abordés sur l’album « L’héritage », qui est sorti le 1er septembre dernier? Qu’est-ce qui vous inspire le plus lors de la composition des textes?

Abstrus: Je dirais que ce qui nous inspire le plus dans la composition des textes, c’est la misère, peu importe sa forme. Dans ‘’L’héritage’’, nous traitons de cette misère que l’église a laissée derrière elle. Je pense que plusieurs personnes croient à tort que l’album traite des peines autochtones infligées par l’église en Abitibi, alors j’en profite pour clarifier le tout, l’album ne traite pas que de la misère des autochtones, mais de tous ceux dont l’église a profité, trahi, et dévasté. Que ce soient les autochtones, les blancs, les immigrants, et même dans les rangs de l’église. 

MU: Pouvez-nous en dire davantage sur vos background musicaux? Est-ce que vous aimeriez collaborer avec un autre musicien ou artiste? Si oui lequel?

Abstrus: Pour ma part j’ai participé à un certain projet nommé Brumes dans les débuts 2010. Pour ce qui est de Julius, il est aussi membre de Black Empire depuis les débuts 2000 et avec Boréalys depuis le commencement. Sinon oui ça pourrait être plaisant de collaborer avec un autre artiste, mais je t’avouerais qu’on n’y a pas vraiment pensé pour l’instant. 

MU: À quel point est-ce important pour vous de composer en français? Qu’est-ce que ça apporte de plus à vos compositions d’après-vous?

Abstrus: Je nous vois bien mal, un projet de l’Abitibi, au Québec, raconté son histoire en anglais (ou autre) haha. Ça ne serait pas sincère, pas sérieux. Alors oui, le français est d’une importance capitale dans le concept de Boréalys. C’est aussi une façon de rendre hommage à nos grands-parents et arrière-grands-parents, qui sont arrivés ici avec tout à faire et qu’aujourd’hui nous leurs devons tout et nous avons tendance à l’oublier. Je crois que c’est une des forces du black metal (bien que ce ne soit pas le seul genre) de chanter dans sa propre langue, beaucoup de groupes ont suivi cette direction…Quel plus bel hommage à une culture et son pays, que celle de parler et de chanter dans sa langue !? 

Liste des pièces:

  1. Apitipik : Vers l’orphelinat 13:17
  2. Harricana : La soeur 09:58
  3. Kitcisakik : L’Brouillard 09:49
  4. L’esprit d’autrefois 03:17
  5. Spirit Lake : Le cimetière des oubliés 10:23
  6. Apitipik : Les murmures enfouis 12:39
  7. Solitude 01:41

MU: Pouvez-vous nous parler de la signification de quelques-unes des chansons?  Par exemple, « L’esprit d’autrefois » m’intrigue beaucoup.

Abstrus: ‘’Apitipik; Vers l’orphelinat’’ traite des jeunes autochtones arraché des bras de leurs famille par l’église, pour être emporter dans les orphelinats et ‘’Apitipik; Les murmures enfouis’’, traite d’avantage de l’après orphelinat, de la solitude et de la nostalgie d’une époque révolu. Apitipik signifie le lieu des évènements, aussi nommé ‘’La Pointe au Indiens’’. ‘’Kitcisakik’’, nom de l’endroit où des viols ont été perpétrés sur des enfants autochtones du village par Edmond Brouillard, qui malgré quelques 50 agressions, n’a jamais été expulsé du clergé. ‘’L’esprit d’autrefois’’ raconte une histoire que mon père me racontait quand j’étais jeune. Issue d’une famille nombreuse de 14 enfants, ma grand-mère a un jour fait une fausse-couche, et le curé de la paroisse est venu la voir pour lui dire que c’était dieux qu’il l’avait punie pour ces péchés, et mon grand-père qui arrivais de la guerre, n’avais peut-être pas la patience pour ce genre de situation, alors il l’a sacré dehors ! Haha. Ce qu’il faut retenir de cette histoire, c’est la pression malsaine de l’église que les familles subissaient à l’époque pour coloniser la région. ‘’Spirit Lake’’ est le nom du plus grand camp d’internement dans l’histoire du Québec. Durant la première guerre mondiale on y envoyait des prisonniers de l’Empire Austro-Hongrois, des Ukrainiens, des Polonais, etc. Ce titre traite plus précisément des morts qu’il y a eu sur le camp, des morts que l’église n’a accepté que d’enterrer, qu’avec une vulgaire croix sans nom au-dessus de leurs têtes. Témoin de la valeur qu’ils représentaient. La plupart sont tombés dans l’oubli avec le temps.

MU: La pochette est superbe. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa conception?

Abstrus: Nous avons pris nous même les photos, et nous avons ensuite envoyer le tout avec quelques idées en tête à Geneviève Dumont (des Production Ça bûche), qui travaille depuis plusieurs années auprès des bands de la région, et de l’extérieur. Elle a fait un excellent travail par la suite et a très bien su refléter le côté historique de l’album. Nous en sommes très satisfaits. 

MU: Qu’avez-vous trouvé le plus difficile lors de l’enregistrement de « L’héritage »?

Abstrus: Ce n’est pas évident de trouver de l’information sur des crimes de l’église dans notre coin, il y a peu de documentation sur le sujet. Il y a certaines choses qui au lieu de leur donner une mémoire, nous tentons de les oublier. Et malheureusement nous y parvenons assez bien merci. Quand même assez spécial que, même en Abitibi (et ailleurs au Québec), plusieurs ne savent même pas qu’il y a eu un camp de prisonniers d’envergure durant la première guerre mondiale. Ce site qui devrait être touristique aujourd’hui, afin de revisiter cette époque et de ce souvenir, est je crois bien, devenu une partie de terre privée avec du foin jusqu’au épaule. Un peu normal qu’on ne se souviennent pas. Idem pour l’église, on n’accepte pas notre histoire, on l’oublie… Bref, je dirais que l’écriture des lyrics à nécessité certaines recherches, mais au moins nous avons l’impression d’avoir gardé un petit bout d’histoire vivant.

MU: Est-ce que vous aimeriez que chaque album soit comme une suite ou uniquement des albums distincts?

Abstrus: Une suite dans le sens que nous continuons de raconter notre histoire, mais pas dans le sens d’un sujet précis. Comme mentionné plutôt, nous en avons terminé avec l’église comme thématique, nous voulons maintenant nous concentrer sur d’autre chapitre de notre passé. Nous avons déjà plusieurs idées pour la suite des choses.

MU: Lorsqu’on pense au nord du Québec et à l’Abitibi, c’est souvent le death metal qui revient dans les discussions. Comment se porte le black metal là-bas et la scène metal en général?

Abstrus: Difficile à dire, je pense que pour le bassin de population que nous avons, la scène black est en meilleur santé qu’elle ne l’a déjà été. Plusieurs groupes comme Givre, I Apocalypse, Ignoble, Dewpel et autres émergent, d’autres vétérans comme Black Empire, Angantyr, Make a Change Kill Yourself demeure. La scène métal n’est peut-être plus dans son âge d’or, mais il y a des gens ici qui continue de porter le flambeau, et une certaine relève s’y retrouvent. Ce n’est pas d’hier que le heavy/métal occupe une place particulière en Abitibi, mais je pense que la scène c’est diversifié avec les années. 

MU: Quels sont les groupes ou les projets qui vous ont marqué cette année? Des coups de coeur en particulier?

Abstrus: Année assez occupée, nous n’avons pas nécessairement eu beaucoup de temps pour faire des découvertes, mais il y a quand même eu quelques sorties qui ont retenu notre attention. Les derniers Tsjuder, Afsky (une belle découverte) et Shining ont été les albums ayant le plus retenu notre attention pour 2023.

MU: Qu’est-ce qui s’en vient pour Boréalys dans la prochaine année? Est-ce qu’il y a déjà du nouveau matériel en préparation ou souhaitez-vous amener ce projet sur scène?

Abstrus: La prochaine année sera concentrée sur l’écriture du prochain album. Nous avons déjà élaboré le concept et il promet d’être assez différent de son prédécesseur. Autant pour son sujet que dans son ambiance. Et non, nous ne prévoyons pas porter le projet en live pour l’instant. Peut-être un jour, mais pas pour cette année.

MU: Merci d’avoir pris le temps de répondre  aux questions. Si vous avez un dernier message pour nos lecteurs, c’est à votre tour…

Abstrus: Premièrement, merci à toi et Metal Universe. Et un grand merci à tous ceux qui nous ont supporté d’une façon ou d’une autre.

Pour les infos et pour vous procurer l’album « L’héritage »:

https://borealys-northernsilence.bandcamp.com/album/lheritage

https://www.facebook.com/borealys08

https://borealys.bandcamp.com/ 

Marc Desgagné

Marc Desgagné

Propriétaire MetalUniverse.net | Originaire du Saguenay | Ville actuelle, Québec (Canada)

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