Ihsahn – Entrevue exhaustive à propos du nouvel album éponyme

Le 16 février 2024, le multi-instrumentiste et chanteur IHSAHN lance son nouvel album studio éponyme via Candlelight Records. Notre journaliste Dani Rod a eu la chance de réaliser une entrevue avec lui dans les dernières semaines. Voici une entrevue qui va en profondeur sur ce nouvel opus et plusieurs autres sujets.

MU: En ce qui concerne votre nouvel album et l’histoire décrite dans sa trilogie vidéo, pouvez-vous nous expliquer un peu le concept qui se cache derrière et le voyage que le protagoniste a traversé ?

IHSAHN: Les paroles sont écrites dans l’ordre chronologique de l’histoire. Le protagoniste, par coïncidence, est poussé à faire quelque chose qui sort de l’ordinaire, à chercher quelque chose de nouveau et à partir à l’aventure, et il traverse des épreuves, des erreurs, des tragédies, l’amour et la réflexion. À un moment donné, j’ai même trinqué avec le protagoniste principal dans la troisième vidéo, ce qui n’était pas prévu, et je voulais ainsi illustrer le fait que nous traversons tous ce voyage, que nous avons tous ces phases existentielles dans nos vies. Une sorte de geste d’empathie du type « je suis passé par là moi aussi », vous voyez ? Aucun d’entre nous n’est malheureusement épargné par la tragédie et la perte, et avec un peu de chance, la plupart d’entre nous font l’expérience de l’amour. Nous sommes tous liés à ces sentiments existentiels universels, dont je pense que nous pouvons faire l’expérience par le biais des arts. Mais ce n’est pas tout. La musique et l’art nous permettent d’exprimer les choses pour lesquelles nous n’avons pas nécessairement de mots.

MU: Le cerf semble être un thème récurrent dans cet album. Pouvez-vous nous parler de son symbolisme pour vous et pour le concept de l’album ?

IHSAHN: Je pense que c’est un symbole très fort. Les bois ont des significations multiples qui me fascinent depuis longtemps. Comme l’expansion de l’esprit, le cerf en lui-même en tant que force de la nature, et cela correspond très bien aux archétypes conceptuels que j’ai introduits dans l’album. J’ai toujours fait des albums conceptuels, mais c’est la première fois que j’écris une narration complète pour les paroles, comme dans le style King Diamond. L’album est disponible en version métal mais aussi en version orchestrale, qui suit une histoire un peu distincte, plus en rapport avec les cerfs, mais qui se fondent aussi l’une dans l’autre. C’est assez abstrait et j’hésite un peu à tout dévoiler, sans vouloir être complètement secret, mais en tant que fan du 7th son of a 7th son d’Iron Maiden et des œuvres de King Diamond, qui ont eu une grande influence sur moi, j’ai vraiment aimé essayer de les comprendre quand j’étais enfant. Je savais qu’il s’agissait d’œuvres conceptuelles et cohérentes, mais en essayant de les comprendre, on pouvait imaginer sa propre interprétation de l’histoire qui s’y trouvait. Parfois, la vision originale de l’artiste se superpose à notre propre expérience et je trouve cela formidable. Sans entrer dans les détails, je suis heureux de parler des aspects généraux de l’histoire. C’est une histoire très classique. Elle s’appuie sur des archétypes fondamentaux, et c’est un récit traditionnel du type du héros de Joseph Campbell. Comme dans une bande originale, où il y aurait des motifs légers qui représenteraient certains personnages, certains événements récurrents dans l’album, c’est ainsi qu’il a été conçu. C’est du moins ce que me disent mes amis et mes fans, qui ont l’impression d’écouter la bande originale d’un film. Il n’est pas très important pour moi que les gens comprennent l’histoire que j’ai imaginée, mais qu’ils aient leur propre expérience et qu’ils l’adaptent à leur propre interprétation.

MU: En ce qui concerne les orchestrations et l’aspect bavarois de votre écriture, envisageriez-vous de faire de la musique de film à l’avenir ?

IHSAHN: C’est définitivement sur la liste des choses que je veux vraiment faire. Je suis un autodidacte avec une formation rock, vous savez ? Je n’ai aucune formation musicale. Au fil des ans, je me suis lentement rapproché des sons orchestraux. J’ai même essayé d’incorporer ces éléments dans les premiers temps d’Emperor. C’est une fascination pour moi depuis que je suis jeune. Et les bandes originales en sont la raison ! Jerry Goldsmith, John Williams, Bernard Herrmann, Ennio Morricone. J’ai été captivé par leur caractère épique, leur construction émotionnelle et leur tension, ainsi que par leur langage harmonique, plus nerveux que celui de la musique profane, et qui, combiné au métal, comme dans 7th son of a 7th son, ou avec King Diamond ou Judas Priest, donne une sorte de résultat d’un autre monde par rapport à la musique ac/dc typique du rock dans ta face. Avec cet album, la courbe d’apprentissage a été immense. J’aurais pu le faire plus facilement, mais je voulais vraiment me dépasser et l’arranger comme s’il avait été composé pour un véritable orchestre dans chacune de ses parties.

MU: Quels logiciels utilisez-vous et recommandez-vous pour tous les aspects orchestraux de la composition musicale ?

IHSAHN: J’ai trop de bibliothèques de sons, plus que je n’en ai besoin ! Mais j’utilise Cubase depuis 1990 sur un ATARI S1000, si vous pouvez le croire. Je ne suis pas sûr que le logiciel s’appelait encore Cubase à l’époque. Mais aujourd’hui, je dirais que 95% de mes sons proviennent de la bibliothèque BBC Symphony Orchestra Pro Library de Spitfire Audio. Une bibliothèque incroyable. Par coïncidence, Joel Dollié, qui a mixé la version orchestrale de l’album, avait mixé certaines des démos pour cette bibliothèque, il connaissait donc déjà toutes les positions et tous les paramètres des microphones. Il y a une autre bibliothèque Spitfire que j’adore, celle de Bernard Herrmann, ainsi que des pistes de percussions provenant de Superior Drummer 3, et il y a aussi des percussions en direct, dont certaines ont même été intégrées par mon fils. Et le plus important, c’est que j’ai fait appel à un formidable violoniste américain de Live, Chris Baum, pour enregistrer plusieurs pistes pour les parties de violon 1 et de violon 2.

MU: Tu as parlé de ton fils et de l’enregistrement avec lui, peux-tu nous parler de son parcours musical et de sa relation avec le metal et ta musique ?

IHSAHN: Tous les membres de ma famille poursuivent en effet une carrière dans la musique. Ma fille est plus du côté de la pop, de l’écriture et de la production, et lui est plus du côté du métal pour l’instant. Mais il est très polyvalent. Il est surtout batteur, mais il joue aussi de la basse, des claviers et de la guitare. Nous avons tous des studios. Oui, il y a trois studios dans notre maison ! Ils ont grandi dans une famille de musiciens, ma femme et moi sommes tous deux des musiciens dévoués. Ma belle-mère dirige également une troupe musicale locale. Leur oncle est le chanteur de Leprous, donc pour eux, c’est une chose naturelle. Faire des disques et des tournées, c’est tout simplement ce que les gens font.

MU: D’où vient votre influence progressive ? Quels sont les groupes ou les albums qui t’ont le plus inspiré et à quel âge as-tu commencé à t’intéresser à la musique plus progressive ?

IHSAHN: Je n’ai jamais vraiment fait de distinction dans ce sens. J’ai commencé à faire de la musique dès que j’ai eu accès à des instruments. J’ai commencé à jouer du piano et je crois que j’ai eu ma première guitare électrique à l’âge de 10 ans. J’avais aussi un orgue électrique et pour une raison quelconque, à 11 ans, j’ai eu mon premier enregistreur 4 pistes et j’ai commencé à faire des chansons tout de suite. Puis j’ai commencé à jouer dans des groupes, à 13 ans j’ai rejoint le premier groupe de Samoth, un groupe de heavy metal. Ensuite, nous avons commencé à faire du Thrash Metal, puis du Death Metal, au fur et à mesure que les membres changeaient et que nous grandissions, et nous avons fini par faire du Black Metal. Le premier album d’Emperor était plus traditionnel, dans le style Black Metal orchestral, et progressivement, si tu écoutes les 4 albums d’Emperor, je pense que j’ai évolué naturellement, en essayant d’aller de l’avant en tant que musicien. Ensuite, j’ai rejoint Peccatum avec ma femme et je suis devenu encore plus expérimental. Au moment où j’ai commencé ma carrière solo, je pense que je suis revenu aux bases, en sonnant un peu plus Heavy Metal. Et puis j’ai commencé à jouer avec des guitares à 8 cordes, des saxophones et toutes sortes de choses folles. Je n’ai jamais pensé à vouloir être plus progressif, c’est juste mon amour de la création musicale qui m’a amené là. Je n’ai pas l’intention d’être progressif, mais j’essaie simplement d’élargir ma boîte à outils en y ajoutant des éléments qui profiteront à mon expression musicale. À 48 ans, je veux être aussi enthousiaste à l’idée de faire un album que je l’étais à 16 ans.

MU: On entend beaucoup de Juular de Devin Townsend dans certaines parties de votre nouvel album. Êtes-vous un fan récurrent de son travail ? Comment s’est déroulée cette collaboration qui vous a amené à jouer dans sa chanson ?

IHSAHN: Il m’a d’abord contacté et j’ai fait Juular, puis il est venu chanter sur l’une de mes chansons. Il m’a dit qu’il pouvait vraiment imaginer ma voix dans l’une de ses chansons et je l’admire, c’est un grand ami et il est aussi incroyablement talentueux. Je l’ai même jouée en live avec lui plusieurs fois parce qu’on a fini par jouer au même festival et il m’a dit : « Hé, tu veux te joindre à nous ? ». Bien sûr, je l’ai fait.

MU: Y a-t-il des artistes dans votre liste de rêve avec lesquels vous aimeriez jouer sur scène comme vous l’avez fait avec Devin ?

IHSAHN: Pas vraiment, je veux dire que ça doit être vraiment organique pour être authentique. Rob Halford et moi avons parlé de faire quelque chose depuis 2001 je crois, mais souvent les collaborations semblent être des idées romantiques sur le papier, qui ne garantissent pas un bon résultat. J’ai fait quelque chose avec Jeff Loomis, où il a fait quelques solos pour moi et j’ai fait quelques voix pour lui, et récemment j’ai pu faire une reprise avec Jonas de Katatonia, mais ce ne sont pas des choses qui étaient sur ma liste de choses à faire, ce sont juste des opportunités qui se présentent naturellement, et je pense que c’est ce qui est important.

MU: Le satanisme est-il quelque chose qui résonne encore dans vos croyances ? Quelle est votre relation avec lui et comment s’applique-t-il aujourd’hui à votre vie quotidienne et à votre processus créatif ?

IHSAHN: Cela fait longtemps que je n’ai pas utilisé ce terme. Ce n’est pas quelque chose qui me gêne, vous savez ? Mais dans les années 90, c’était l’étiquette que nous utilisions. Je m’identifiais totalement à sa nature rebelle et à son processus de réflexion sur l’orientation individuelle. Au début des années 90, lorsque j’étais adolescent, c’était une porte d’entrée importante vers la philosophie et la remise en question. Je suis un grand fan de Nietzsche, mais maintenant le seul -isme auquel je souscris est le scepticisme (il rit). Je l’apprécie toujours, il a été poussé à la limite quand j’étais jeune et je pense que c’était important. Je veux dire que cela fait partie de l’histoire du rock n roll. Depuis Robert Johnson, dans les années 1930, qui aurait vendu son âme au diable, tout est passé par là. Cela passe par Black Sabbath et Iron Maiden, le nombre de la bête, et aussi dans les films. J’ai une guitare électrique noire dont la façade est décorée de l’œuvre « The Omen », tirée du film. L’esthétique de cette guitare et sa nature rebelle résonnent encore en moi. Mais l’idée de « sataniste » est probablement une version corrompue ou incomplète de ce que je suis. Adolescent, j’étais fasciné par cette idée, et en lisant les livres de La Vey et tout le reste, j’ai trouvé que cela manquait encore un peu ? J’espère que je n’offense personne ! Mais j’ai découvert Nietzsche et j’ai trouvé que cela avait plus de sens. La remise en question et le fait de ne pas prendre l’autorité de la culture actuelle pour acquise. Je devrais probablement me procurer ce t-shirt Nietzsche avec le logo Nike, mais il dit « Just doubt it » au lieu de « Just do it » (il rit). En fin de compte, la plupart de mes pairs de la scène black metal ont évolué. Tu sais, je fais des tournées et je vois souvent des gens, mais je n’ai vraiment rencontré personne ces derniers temps qui adhère encore à cette vieille façon de voir les choses. Pas même mes amis de Behemoth qui utilisent beaucoup cette imagerie et ce symbolisme et qui les prennent très au sérieux. En Norvège, la religion est très laïque, mais en Pologne, Nergal est constamment traîné devant les tribunaux pour blasphème et il est plus logique de s’opposer à ce régime strict là où il est plus dominant.

MU: En dehors de la musique, quelles autres formes d’art, comme les films, les émissions de télévision ou les livres, recommanderiez-vous ? Des chefs-d’œuvre qui ont eu une résonance profonde en vous ?

IHSAHN: Si je devais en choisir un de Nietzsche, je pense que « Ainsi parlait Zarathoustra » est un livre merveilleux, ou tout ce que fait Dostoïevski laisse une trace, Kafka a des choses troublantes. Les séries télévisées : je suis un grand fan des Sopranos et, plus récemment, de la série Hannibal, qui raconte des histoires incroyables et est visuellement stupéfiante !


L’album IHSAHN est disponible dès maintenant sur CD et les différentes plateformes numériques!

🎧 Pour commander / écouter l’album : https://Ihsahn.lnk.to/IHSAHN

Liste des pièces:

  1. Cervus Venator 01:19
  2. The Promethean Spark 04:52
  3. Pilgrimage to Oblivion 04:20
  4. Twice Born 03:37
  5. A Taste of the Ambrosia 04:23
  6. Anima Extraneae 01:40
  7. Blood Trails to Love 05:05
  8. Hubris and Blue Devils 07:54
  9. The Distance Between Us 04:30
  10. At the Heart of All Things Broken 09:13
  11. Sonata Profana 01:44
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Marc Desgagné

Propriétaire MetalUniverse.net | Originaire du Saguenay | Ville actuelle, Québec (Canada)

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